La Chambre de commerce et d’industrie franco-russe a organisé le 5 avril dernier sa 1ère conférence internationale consacrée au secteur du retail. L’événement organisé avec le soutien du Comité Retail de la CCI France Russie a rassemblé plus de 100 représentants de grandes entreprises opérant dans le secteur du commerce de détail.
Bérengère HUBNER, directrice générale de Kiabi et co-présidente du Comité Retail a ouvert la conférence avant de laisser la parole au modérateur de l’événement, Andreï KARPOV, Président du conseil et Président de l’Association russe des experts du marché du retail.
L’impact de la crise économique sur le marché
Le ralentissement de l’économie et l’absence de croissance des revenus de la population dictent de nouvelles règles. D’après les statistiques de Rosstat, le marché du retail a chuté de plus de 15% sur les deux dernières années. Selon Dmitri CHVETSOV, directeur des relations avec les retailleurs chez Nielsen Russie, l’industrie n’a pas connu une telle crise depuis 100 ans. Il a souligné qu’ « il existe une corrélation entre la dynamique du chiffre d’affaires du retail et le revenu réel de la population ». Parmi les principales tendances sur le marché du retail, l’expert a mis en lumière :
- Le maintien de la position des principaux retailleurs sur le marché
- La fragmentation du marché : le nombre de points de vente de produits de grande consommation est passé de 333 000 en 2015 à 348 000 en 2016
L’évolution du consommateur
Au cours des 5 prochaines années, la Russie va connaître une diminution de sa classe moyenne dont la part ne dépasse pas 25% de la population. Comme l’explique Ekaterina YAKOUNKINA, directrice du département relations clients de ROMIR, cette dernière est vieillissante : la part des retraités passera de 29% à 35%. L’experte a également noté deux autres tendances importantes en Russie : un écart de revenu très important entre Moscou et les régions et la forte urbanisation de la population.
Comme l’estime Dmitri CHVETSOV, (Nielsen Russie), les changements survenus dans l’économie russe au cours des dernières années ne doivent plus être considérés comme des représentations de la crise mais comme la formation d’une nouvelle réalité économique. Dans ce contexte, un nouveau type de consommateur est apparu. Selon l’expert, « plus de 70% des Russes se trouvent dans une situation d’austérité. Ils se sont adaptés à la crise ; ainsi, même si leurs conditions de vie venaient à s’améliorer, ils continueraient à économiser par automatisme ».
Le centre de recherche « Romir » a défini les différents types de consommateurs en fonction de leur façon d’économiser :
- les optimisateurs qui achètent les produits les moins chers et les produits de la marque distributeur
- les rationalistes qui évitent les achats impulsifs
- les chasseurs de promotion qui effectuent plus de 50% de leurs achats à prix réduits
- les économes qui achètent en grande quantité
En général, les consommateurs croient qu’ils économisent davantage sur les voyages, les restaurants et les divertissements mais en réalité, ils économisent sur les cosmétiques et les vêtements pour lesquels il n’existe pas autant de catégories de prix différentes.
Les consommateurs des produits haut de gamme se sont également adaptés à la crise, mais différemment. Comme l’a souligné Viktor NEKHAEV, directeur exécutif de la chaîne de magasins « Sporttovari Bosko », le client du secteur du luxe s’est habitué aux prix de la crise. Aujourd’hui, ces clients passent au « modèle asiatique » de consommation : le consommateur agrandit sa collection essentiellement en acquérant de nouveaux accessoires.
Les secrets d’une stratégie retail fructueuse en Russie
Les plus grandes chaînes françaises de distribution continuent d’étendre leur présence sur le marché russe. Comme l’a souligné Oleg ALKHAMOV, directeur général des hypermarchés, Auchan Russie prévoit d’ouvrir son 200ème supermarché en Russie en 2017. La stratégie prioritaire de la société est le développement multi formats de ses magasins : en Russie, Auchan possède des hypermarchés, des supermarchés, des superettes.
De son côté, Leroy Merlin possède 60 points de vente à travers toute la Russie et envisage également de développer un nouveau format de magasins d’une superficie de 8 000 m2 au lieu de 10 000m². Chaque année, la société souhaite ouvrir environ 20 nouveaux points de vente. Vincent GENTIL, directeur général de Leroy Merlin Russie a souligné qu’il était important pour les entreprises étrangères d’établir une stratégie de développement sur le long terme. En ce qui concerne sa clientèle, le directeur général a souligné que son entreprise souhaite que la part des femmes augmente parmi ses clients car aujourd’hui, 61% de ses consommateurs sont des hommes. De plus, Leroy Merlin s’efforce de conserver sa clientèle familiale car il s’agit d’une clientèle très fidèle et à revenus stables.
Selon Oleg ALKHAMOV (Auchan Russie), le succès des sociétés françaises en Russie tient au fait qu’elles se distinguent par une culture d’entreprise très forte et qu’elles sont activement impliquées dans la formation et le développement personnel des employés. De plus, les entreprises françaises ne copient pas leur modèle sur le marché russe, elles essaient de s’adapter aux besoins de leur clientèle.
Boris OSTROBROD, président de SELA, a expliqué que sa société possédait aujourd’hui un magasin dans chaque ville de plus de 100 000 habitants. Selon lui, l’un des facteurs de réussite de la société réside dans le fait que la production ait été délocalisée à Shanghai et que SELA possède désormais un bureau dans cette ville ce qui permet de contrôler la marchandise avant de l’envoyer vers la Russie. Aussi, comme l’a souligné l’expert, en plus de la qualité et de la bonne conception de la marchandise, il faut fournir au client un service pratique. Par exemple, SELA a équipé ses cabines d’essayage de boutons d’appel pour que les clients puissent obtenir les conseils des vendeurs.
Mark ZAVADSKY, directeur du développement d’Aliexpress et directeur général d’Alibaba Russia, a expliqué qu’en Chine, Alibaba refuse les produits sans marque. De plus la société a commencé à vendre des produits fabriqués en Russie ce qui a permis d’accroître considérablement la confiance des acheteurs russes et d’augmenter les ventes sur les différentes gammes. Auparavant, les Russes achetaient seulement des accessoires, désormais ils se sont rendus compte qu’ils pouvaient faire confiance au site pour réaliser des achats plus importants.
Dmitri CHVETSOV a également présenté les directions que pourrait prendre le secteur du retail. L’entreprise doit porter son attention sur :
- la génération des milléniaux (personnes nées entre 1980 et 1999) qui est moins fidèle aux marques et qui ne consomme pas dans le but de démontrer des signes de richesse ;
- la tendance à un style de vie sain et à une alimentation équilibrée
- la digitalisation : le site internet de l’entreprise ne suffit pas, il faut par exemple fournir un accès WIFI dans les magasins
Comment conserver ses clients fidèles en période de crise ?
Dans un contexte de crise, le panier de consommation évolue : les représentants de Leroy Merlin, Kiabi et SELA ont tous trois constaté une diminution du prix moyen du produit acheté ainsi qu’une diminution de la qualité du produit en elle-même. Face à ce constat, les entreprises ont besoin de conserver leurs plus anciens clients et d’en trouver de nouveaux. Les cartes de fidélité permettent de connaître les préférences des clients et de mieux répondre à leurs attentes.
Comme l’a souligné Bérengère HUBNER, 63% des clients de Kiabi possèdent une carte de fidélité. Régulièrement, la société organise des soirées pour ses clients.
Les programmes de fidélité de la société de luxe Bosco di Ciliegi créent des conditions uniques pour les clients : une zone réservée aux clients fidèles, un service personnalisé avec assistante et shopper. Comme l’a souligné Viktor NEKHAEV, le principal avantage de ces services est de faire gagner un temps considérable au client.
Les technologies au service du retail
Au cours de ces dernières années, la tendance principale dans le secteur de la grande distribution est au multi-canal. Grégory GAZAGNE, directeur exécutif de Criteo pour la région Europe, Moyen-Orient, Afrique, a souligné que le consommateur désire avoir les mêmes possibilités en ligne et en magasin : personnalisation, cross-devices, continuité entre ce qui se passe en ligne et hors-ligne ou encore outils de communication avec le client. Ces moyens permettent d’économiser beaucoup de temps au client et d’offrir un service répondant parfaitement à ses besoins. Oleg ALKHAMOV (Auchan Russie) a expliqué que dans l’avenir, les technologies permettront de sélectionner un produit et de trouver très simplement où il se situe dans le magasin.
Selon les statistiques de TNS+Google, 25% des utilisateurs d’internet en Russie qui recherchent des produits en ligne les achètent directement. Comme l’a expliqué Olga NELYUDOVA, directrice commerciale – Marché Emergents chez Google, en Russie, l’entonnoir des ventes est très proche pour toutes les catégories de produits. En général, il a pu être observé que plus le montant d’un bien était important moins il était probable que les clients l’achètent sur Internet. Les consommateurs préfèrent acheter les produits de valeur en magasin. Cependant, en Russie, le phénomène inverse a pu être constaté. Les Russes achètent plus facilement des produits chers via en ligne et à l’inverse achètent des produits moins coûteux en magasin.
Katia DARDE, directrice de clientèle chez Da !Skipper et Maksim ZENIN, directeur de la publicité produits chez Mail.ru Group sont ensuite intervenus sur les innovations comme moyen d’augmenter les ventes et d’attirer les acheteurs par l’intermédiaire d’internet.
A l’aide de sondages, l’outil Brand lift permet d’évaluer le taux de mémorisation de la publicité en ligne et de mesurer l’intention d’achat des utilisateurs.
L’outil Online to offline a également été présenté. A l’aide d’un capteur wifi, celui-ci permet de récupérer les données des smartphones des consommateurs qui fréquent les magasins ou qui se promènent devant les vitrines. A l’aide des données récoltées, les retailleurs peuvent envoyer des publicités ciblées à ces personnes. Online to offline permet également d’évaluer comment la publicité en ligne se répercute sur les achats en magasin.
L’immobilier commercial à Moscou et dans les régions
Chaque année, 30 à 40 nouvelles marques pénètrent le marché moscovite qui reste très attractif. Comme l’a souligné Marina MALAKHATKO, directrice du département « locaux commerciaux » chez CBRE, après l’ouverture d’un premier magasin à Moscou, les entrepreneurs pensent à s’étendre vers d’autres villes. Mais, beaucoup décident de rester à Moscou et d’y gérer un seul magasin. L’experte a également remarqué que « tous les promoteurs immobiliers ou propriétaires sont intéressés par les nouvelles marques encore peu répandues. Ils proposent ainsi des services spéciaux de location et de résiliation de contrats sont proposés aux nouvelles marques. N’importe quelle marque étrangère qui n’est pas encore présente en Russie peut obtenir des conditions privilégiées pour l’ouverture de ses premiers magasins », explique Marina MALAKHATKO.
L’experte s’est ensuite intéressée au cas des régions : « Nous observons un développement dans les villes de moins de 500 000 habitants. Moscou est loin d’être la ville la plus saturée. Par exemple, Krasnodar ou Ekaterinbourg comptent depuis longtemps bien plus de centres commerciaux que Moscou ». Le marché russe est très intéressant : au cours des dernières années, les taux de location ont fortement chuté et la population a atteint 146 millions d’habitants. Cependant, comme l’a expliqué l’experte, « les pays asiatiques sont les plus intéressants pour nous. Nous sommes en forte concurrence avec les nouvelles marques indonésiennes, indiennes et taïwanaises. Mais, nous sommes assurément intéressés par le luxe et notamment le luxe français. Nous sommes en train de devenir un marché intéressant pour les touristes d’Europe de l’est et pour les asiatiques ».
Au cours de cette conférence, il a donc été souligné que malgré la crise et la baisse du chiffre d’affaires du secteur du commerce de détail, les retaillers russes et français restent optimistes. Tous continuent à développer leurs activités en Russie, à Moscou comme dans les régions. De nouvelles stratégies sont mises en place notamment à travers une plus grande utilisation des technologies.
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La CCI France Russie remercie chaleureusement les intervenants et les sponsors de la conférence DA !skipper et « Gazprombank » ainsi que les sponsors généraux de ses 20 ans : EY et Total, ses sponsors principaux : Crédit Agricole, Servier, Yves Rocher, Orange Business Services, Natixis, Vinci Concessions, Dassault Systèmes, Jeantet, « Novatek », Air Liquide, Legrand et ses sponsors : Bellerage, Skif consulting, Savoye et CMS.