ÉCONOMIE
S’exprimant le 15 avril en visioconférence devant les membres du gouvernement fédéral, Vladimir Poutine a annoncé une nouvelle série de mesures ayant vocation à soutenir l’activité économique en Russie.
Quatre points doivent être relevés :
a) Les PME non-alimentaires vont être incluses dans la liste des secteurs de l’économie nationale ayant subi le plus grand préjudice de la crise actuelle, ce qui leur ouvrira de nouveaux droits ;
b) L’Etat va prendre en charge les salaires d’avril et de mai des PME à hauteur du salaire minimum, soit 12 130 roubles par mois. Cette aide directe sera conditionnée au maintien de l’emploi à 90% au moins de son niveau de début avril dans les entreprises concernées. Les premiers fonds seront versés le 18 mai (salaires d’avril), les suivants en juin.
c) Prenant acte du peu d’efficacité du dispositif de « crédits salaires », le président russe a décidé de les faire garantir à hauteur de 75% par la VEB et d’élargir la liste des entreprises récipiendaires potentielles au moyennes et grandes entreprises ;
d) Des fonds de roulements seront prêtés aux sociétés figurant dans la liste des entreprises d’importance systémique, avec des taux bonifiés (l’Etat prendra en charge l’équivalent du taux de base de la Banque centrale de Russie, soit 6% à ce jour). La moitié de ces crédits seront garantis par le ministère des Finances.
Par ailleurs, Vladimir Poutine a annoncé le déblocage de 200 milliards de roubles au bénéfice des régions afin d’équilibrer les budgets et d’assurer le financement des mesures jugées prioritaires. Le président a insisté sur la nécessaire souplesse dans l’affectation et l’utilisation de ces fonds.
Enfin, le président russe a annoncé la tenue, ces prochains jours, de réunions sectorielles (BTP, agroalimentaire, aéronautique, etc.). Il a également informé le gouvernement de l’octroi de 23 milliards de roubles aux compagnies aériennes du pays. Le Premier ministre Mikhaïl Michoustine a annoncé le 15 avril à la mi-journée l’octroi de 30 milliards de roubles (environ 370 millions d’euros) aux régions afin d’augmenter le nombre de lits d’hôpitaux disponibles en province et de les équiper en prévision de l’accueil de patients COVID-19.
La mairie de Moscou débloque 7 milliards de roubles supplémentaires pour le paiement des allocations chômage d’un montant de 19 500 roubles décidées fin mars pour les habitants de la capitale ayant perdu leur emploi. Alors que le FMI vient de publier une prévision de croissance particulièrement alarmiste pour 2020 (recul du PIB de 5,5% en Russie), divers plans et propositions apparaissent dans le débat public. Un groupe d’économistes libéraux basés en Occident, parmi lesquels Sergueï Gouriev et Konstantin Sonine, prône des mesures de soutien représentant entre 4 et 10 points de PIB (les mesures gouvernementales entérinées à ce jour ne comptent que pour 1,5% de la richesse nationale) sous forme d’aides directes aux entreprises et à la population, ainsi que le rachat par la Banque de Russie d’obligations émises par le gouvernement. L’Union des Industriels et entrepreneurs de Russie (RSPP) propose pour sa part la création d’un fonds ad hoc qui octroierait des prêts d’une durée de 3 ans aux entreprises à hauteur du montant des impôts dont elles se sont acquittées en 2019.
DECLARATIONS POLITIQUES ET MESURES D’ORDRE PUBLIC
S’exprimant lundi 13 avril à l’occasion d’une visioconférence consacrée à la lutte contre l’épidémie de COVID-19, Vladimir Poutine avait relevé la détérioration de la situation, soulignant notamment l’accroissement du nombre de cas graves. Il avait souligné la nécessité de disposer d’évaluations fiables à horizon de 3-7-10 jours et a demandé au gouvernement de lui fournir un tel document réactualisé sur une base quotidienne. Le chef de l’État n’avait pas exclu de recourir aux personnels médicaux des armées en cas de besoin.
Les initiatives se multiplient au niveau régional. Les autorités de la République du Tatarstan ont ainsi annoncé que toute personne arrivant de Moscou et Saint-Pétersbourg serait soumise à un confinement de deux semaines. Le gouverneur du Kouzbass a pour sa part annoncé l’interdiction de quitter la région, une mesure en contradiction avec le rappel à l’ordre du Premier ministre Michoustine de la semaine dernière sur l’absence de prérogative des sujets de la Fédération en la matière. Confronté à une recrudescence de cas de COVID-19 – en particulier dans la localité de Belokamenka, où plus de 200 personnes travaillant sur un grand chantier d’infrastructure sont contaminées – le gouverneur de la région de Mourmansk Andreï Tchibis a annoncé l’achat
de bracelets électroniques pour la surveillance des patients.
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Parfois critiqué pour la timidité des dispositifs annoncés jusqu’ici, Vladimir Poutine a brisé un tabou en décidant l’octroi d’aides financières directes non-remboursables aux PME pour ce qui est du paiement des salaires (prise en charge toutefois plafonnée à 12 130 roubles).
Contrairement à ce qui était attendu, le président russe n’a pas officialisé le report du défilé militaire
du 9 mai. L’adresse de plusieurs organisations d’anciens combattant en ce sens vise cependant à préparer les esprits à cette mesure à très forte portée symbolique. Les 24 juin, 3 septembre et 7 novembre (respectivement dates de la parade de la victoire à Moscou en 1945, de la fin officielle de la Seconde Guerre mondiale et de l’anniversaire du fameux défilé de 1941 lors de la bataille de Moscou) sont semble-t-il envisagés.
La crise actuelle exacerbe les rivalités dans les cercles de pouvoir en Russie. Plusieurs responsables ont cherché ces derniers jours à être plus visibles aux yeux du Kremlin. C’est notamment le cas du président de la Cour des comptes, Alexeï Koudrine, qui a accordé un long entretien lundi dernier à la chaîne de télévision RBK, et de la vice-Premier ministre en charge des questions sociales Tatiana Golikova, qui cherche peut-être de la sorte à faire oublier les conséquences de sa politique « d’optimisation » des hôpitaux et autres structures de santé. Roskhimzachtchita, une des entités de Rostec, la holding d’État dirigée par Sergueï Tchemezov, a été nommée par le gouvernement opérateur responsable de l’approvisionnement des régions en masques et autres matériels de protection. La fourniture par la banque Rossia, propriété de Iouri Kovaltchouk, de plusieurs poids lourds chargés de matériel médical à la mairie de Saint-Pétersbourg a fait l’objet d’une forte médiatisation sur les chaînes de la télévision d’Etat.
À la fois épicentre de l’épidémie et poumon économique du pays, Moscou et son maire sont particulièrement exposés tant d’un point de vue sanitaire que politique. L’introduction de laissez-passer
et le renforcement des contrôles routiers aux entrées de la capitale et dans le métro créent des situations complexes, parfois dangereuses d’un point de vue épidémiologique, qui sont immédiatement utilisées par certains médias occidentaux (qui y trouvent du grain à moudre sur la mauvaise gestion de la crise en Russie) et par les « durs » du régimes (qui voient désormais clairement en Sergueï Sobianine le représentant des « libéraux intra-système » et donc un homme à abattre).
Arnaud DUBIEN,
Directeur de l’Observatoire franco-russe